Nous vous informions en juin que la Federal Trade Commission (FTC), le régulateur américain en charge de la défense des consommateurs, poursuivait Google, pour des infractions présumées concernant la collecte d’informations personnelles de mineurs sans le consentement de leurs parents ou représentants légaux sur la plateforme YouTube, en violation de la loi américaine Children’s Online Privacy Protection Act (COPPA).
La COPPA impose certaines exigences aux éditeurs de sites Web ou de services en ligne destinés aux mineurs de moins de 13 ans ou qui collectent leurs informations personnelles en ligne.
Cette affaire touche à deux problématiques majeures : la question du contenu approprié pour un jeune public et la protection de leurs données personnelles.
La plainte de la FTC mentionne, notamment, que YouTube aurait gagné des millions de dollars en utilisant les cookies pour diffuser des annonces ciblées aux utilisateurs de moins de 13 ans.
Pour faire cesser ces poursuites, extrêmement nuisibles à leur réputation et susceptibles d’entacher la confiance des utilisateurs, le 5 septembre 2019 Google et sa filiale YouTube ont payé la somme de 170 millions de dollars, de loin le montant le plus important que la FTC n’ait jamais obtenu dans une affaire impliquant la COPPA depuis l’adoption de cette loi par le Congrès en 1998.
Il n’est pas nouveau qu’une entreprise comme Google, souvent ciblée, privilégie un règlement rapide, interprété par certains commentateurs comme un aveu de culpabilité ajoutant que cette somme colossale était certainement bien inférieure à l’impact qu’une telle attaque pourrait avoir sur sa réputation.
En plus de la sanction pécuniaire, la FTC a exigé que Google développe et maintienne un système permettant aux éditeurs de chaînes d’identifier leur contenu destiné aux mineurs de moins de 13 ans sur YouTube.
Cette plateforme permet aux titulaires de comptes Google de créer des “chaînes” pour publier leur contenu. Les éditeurs de chaînes éligibles peuvent choisir de monétiser leur contenu en permettant à YouTube de diffuser des publicités ciblées, générant des revenus pour les éditeurs de chaînes ET pour YouTube.
Dans une vidéo expliquant aux éditeurs les modifications apportées, YouTube a annoncé qu’à partir de janvier 2020, si les éditeurs de chaînes étiquettent une vidéo comme étant destinée à une audience ciblant des mineurs de moins de 13 ans, elle perdra certaines fonctionnalités phares de la plateforme, à commencer par la fermeture des commentaires. De plus, la collecte de données sera automatiquement bloquée pour tous les utilisateurs, ce qui réduira considérablement les revenus publicitaires des éditeurs et de YouTube.
L’annonce de ces changements majeurs dans les conditions d’utilisation de YouTube a créé une grande confusion chez les éditeurs de chaînes qui s’interrogent sur le fait qu’ils soient soumis à ces nouvelles règles et s’inquiètent naturellement de leur impact sur l’avenir de leur modèle économique, principalement basé sur les recettes publicitaires.
YouTube a légitimement refusé de se substituer à l’office du juge et d’apprécier la catégorisation des contenus, ne pouvant fournir de conseils juridiques aux éditeurs de chaînes. Cette décision incombe à ces derniers. Quelles que soient les améliorations apportées à son algorithme de détection des abus, la plateforme ne peut garantir le respect total de la réglementation par les éditeurs.
Aussi, YouTube encourage les éditeurs de chaînes à consulter un avocat ou un expert de la réglementation pour déterminer, en cas de moindre doute, si le contenu publié est destiné à un jeune public pour s’assurer d’être en conformité avec les conditions d’utilisation du service et les lois applicables.
La FTC a publié un communiqué visant à préciser les grandes lignes directrices pour les chaînes concernées par ces nouvelles règles.
Un contenu n’est pas considéré comme « destiné aux enfants » simplement parce que certains le voient, il faut que le public ciblé soit composé de mineurs de moins de 13 ans.
La COPPA considère indifféremment un éditeur de chaîne YouTube et un éditeur de site Web ou d’application, en fonction de la nature du contenu et des informations collectées. Si le contenu est destiné aux mineurs de moins de 13 ans et si l’éditeur de la chaîne (ou un intermédiaire) collecte des informations personnelles sur les utilisateurs de ce contenu, il doit satisfaire aux exigences de la COPPA.
La FTC distingue certains critères qu’elle prendra en compte pour déterminer si le contenu est destiné aux mineurs de moins de 13 ans, qualifiés de mineurs numériques en Europe :
- le thème de la chaîne ;
- les contenus visuels choisis;
- l’utilisation de personnages animés ou de quelconques incitations destinées aux enfants ;
- le contenu audio ;
- l’âge des sujets (personnes physiques) ;
- la présence de célébrités enfantines ou de célébrités qui attirent les enfants ;
- les attributs du support tels que l’utilisation d’un langage enfantin ;
- la présence de publicités faisant la promotion des produits et services destinés aux enfants et
- les preuves indiscutables sur l’âge du public cible.
Par exemple, dans la plainte, la FTC et le Procureur Général de New York allèguent que certaines chaînes YouTube, telles que celles gérées par des fabricants de jouets pour enfants, tombent, par défaut, dans cette catégorie et doivent donc se conformer aux règles édictées par la COPPA.
La conférence de presse de la FTC sur cette plainte, malgré le fait qu’elle date de septembre dernier, n’a attiré l’attention du grand public et des éditeurs que très récemment. L’amplification de la diffusion de son contenu a semé la panique chez ces derniers, découvrant naïvement que leur responsabilité pourrait également être engagée. En effet, le représentant de la FTC a particulièrement insisté sur le fait que la Commission pouvait évidemment poursuivre YouTube en justice pour non-conformité aux règles édictées par la COPPA, mais également les éditeurs de chaînes, individuellement.
La loi prévoit des sanctions pécuniaires pouvant aller jusqu’à 42 530 dollars par violation, sachant qu’un éditeur dont la chaîne, contenant parfois des milliers de vidéos, peut être poursuivi pour chacune des vidéos, anciennes comme récemment postées, qui manquerait à ces obligations. Les éditeurs ont donc un audit à effectuer de l’ensemble du contenu posté sur leurs chaînes pour ne pas risquer des amendes aux montants astronomiques.
Certes, aujourd’hui l’actualité concerne YouTube mais les autres plateformes ne sont certainement pas à l’abri et leurs éditeurs doivent donc se conformer au même titre que YouTube. La réglementation est applicable à tous.
Le principe fondamental de la COPPA et autres lois concernant la protection des mineurs numériques doit encourager les parents à renforcer le contrôle en matière d’informations recueillies sur leurs enfants.
Parents, enseignants, entreprises, éditeurs non professionnels (etc) ont une responsabilité collective pour protéger les mineurs numérique et, force est de constater, qu’il y a encore beaucoup d’éducation à faire sur le sujet.
Il faut former et sensibiliser les parents pour les aider à comprendre ce que font leurs enfants en ligne pour s’assurer de les accompagner au mieux sur internet, comme ils l’ont fait en leur apprenant comment traverser une rue. Plusieurs campagnes de prévention ont été mises en place par les autorités françaises : le CSA dédie une campagne annuelle à la protection des enfants face aux écrans, et l’Agence du numérique organise un Safer Internet Day. Il s’agit de premiers pas dont l’impact éphémère n’est manifestement pas suffisant. Chaque jour devrait être un Safer Internet Day pour tous.
Les enfants ne sont pas en reste. Il faut les informer des dangers et les encourager à prendre eux-mêmes des mesures pour se protéger. Certaines écoles font déjà venir des intervenants qui grâce à leurs témoignages inhabituels marquent les esprits en racontant par exemple comment eux-mêmes en se créant une fausse identité numérique parviennent avec facilité à recevoir des informations personnelles (evidemment non utilisées) sur des enfants ou convenir de rendez-vous (évidemment non honorés).
N’oublions pas cette responsabilité collective et rassemblons nous pour cesser l’hypocrisie.
Quand nous constatons qu’il suffit de cocher une case pour avoir accès à du contenu adulte ou que le visionnage d’une vidéo YouTube reste accessible à toute personne sans création de compte, sans restriction, nous comprenons qu’il est urgent que l’industrie se rassemble pour trouver de véritables solutions durables.
Lara Sanjaume